Sea Surf and Sun in Sydney

L'enseignement des inégalités

5h13. Je suis à la bourre. J'éteins rapidement mon ordi, je file aux toilettes. J'ai une réunion sérieuse, avec un mec du gouvernement du NWS à 5h15. D'après ce qu'en m'a dit Joanna, ça semble être au sujet de l'Opening night du festival du film que l'on organise en mars. J'arrive en courant au café avec ma petite robe courte. Joanna se lève et me présente à ce monsieur. Il a la cinquantaine, les cheveux peignés en arrière à la cire, une petite paire de lunettes discrètes bien enfoncée sur son nez. Sa barbe est rasée de prêt, sa cravate soigneusement serrée semble lui couper la respiration.

Il engage la discussion ; la réunion commence.

 

Monsieur cravate est venu en personne nous enseigner le protocole.

« Alors commençons avec la catégorie 1 » dit-il  d'une voix sure et posée. Il se lance dans une énumération détaillée et complète de la liste d'invités numéro 1. Il sait où il va, ceux qu'il cite et ceux qu'il ne cite pas. Joanna et moi, dociles, prenons note bêtement des dénominations et fonctions de chacun de ces Grands Noms. Ces grands noms, que l'on aurait qualifiés de nobles sous un autre régime, sont les invités qui bénéficieront de tous les privilèges, de toutes les attentions et délicatesses durant la soirée. Pas d'imprévu, pas de suspens, tout doit être minutieusement calculé, anticipé afin que ces Grands puissent nous offrir l'honneur d'apprécier cette invitation. Personnel spécialement là pour les accueillir, chauffeurs garés à l'entrée prêt à les conduire à la deuxième partie de soirée située à au moins 800 mètres de la salle de cocktail, meilleures places dans le cinéma afin qu'ils ne tournent pas trop leur petit cou fragile.

Monsieur cravate continue son listing : « Alors pour l'ouverture des portes, il faudra 2 personnes par voiture. La première personne commencera par ouvrir la porte arrière gauche ; ensuite le chauffeur ouvrira la portière arrière droite et la première personne finira par la portière avant gauche. Cet ordre représente l'ordre d'importance des invités VIP à l'intérieur ». Je m'essaye à un petit croquis sur mon cahier raturé pour mémoriser ce semblant de logique. Je note les portes, les portiers, je fais des flèches, des croix, des numéros. Il enchaine : « Pour le cinéma. Il faut réserver les meilleures places pour la classe numéro 1. A la fin du film, il faut que quelqu'un annonce au micro que tout le monde doit rester assis le temps que les VIP partent. Quelque chose du style : ' Veuillez rester assis le temps de laisser sortir les invités d'honneur...'     » Joanna prend note de la phrase exacte que Monsieur cravate prend plaisir à dicter lui à nouveau. Je m'y refuse. Mais ca change quoi au juste ? Je serai même peut être celle qui devra la dire au micro cette p***** de phrase !

« Oui, que l'on soit bien clair » ajoute t-il. «  Les VIP arrivent après tout le monde lors de la première partie de soirée. Il faut que l'on les remarque, qu'ils n'attendent pas. Par contre, à la fin de la deuxième partie de soirée ce sont les premiers à partir. Leur chauffeur les attendra. »

 

Il a ce petit air fier insupportable, ce sourire en coin déplaisant, cette assurance gênante. Il ne doute pas une seule seconde de ce qu'il pense, c'est même « une question de bon sens » ose t-il me glisser, croyant me rassurer.

Je regarde discrètement la montre argentée à son poignée. Il était 6h30. Ca faisait exactement 1 heure et quart que Monsieur cravate nous enseignait avec passion l'art des inégalités.

Les 2 autres catégories d'invités, de la bourgeoisie au tiers Etat ne seront étonnamment pas détaillées… A croire que certains privilèges ne seront jamais vraiment abolis !



14/12/2008
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